Y-a-t-il sinon un Sens caché, du moins un Sens oublié ? En 1805, Chateaubriand tâchait déjà de ressusciter un épisode délaissé et un Breton autrefois célèbre : « les demoiselles Piat parlaient d’un chien et d’un manchon que leur père leur avait acheté jadis à la foire de Sens. Cela me charmait autant que le concile de cette même ville, où saint Bernard fit condamner Abailard mon compatriote. Les vierges au manchon étaient peut-être des Héloïse : elles aimèrent peut-être, et leurs lettres retrouvées un jour, enchanteront l’avenir ». Ainsi, « le simple nom de Sens suffit pour faire surgir dans la mémoire de Chateaubriand, de façon quasi proustienne, deux épisodes majeurs de la vie d’Abélard, celui de ses amours avec Héloïse et celui du concile où il affronta Bernard de Clairvaux » (Michel Lemoine). Si à Sens, il n’y a plus vraiment de bâtiments contemporains rappelant Abélard et son second procès en hérésie (après celui de Soissons en 1121), c’est pourtant vers 1135 que l’archevêque Henri Sanglier décida de remplacer l’église métropolitaine du Xe siècle par un édifice grandiose et digne de son importante métropole sénonaise. « C’est là, au milieu des échafaudages, dans cette cathédrale en pleine transformation où voisinaient les anciennes formes romanes et l’élan de la création nouvelle que s’est joué le dernier acte de l’existence tourmentée de Pierre Abélard » (Jacques Verger). Depuis ce monument gothique, au détour d’une rue Abélard près du centre-ville, nous (par)cheminerons en quête de Sens (interdit par les manœuvres de Bernard), du concile (tenu à une date encore incertaine), ses acteurs prestigieux, ses enjeux (au-delà de l’opposition binaire Foi/Raison) ainsi que sa mémoire, souvent partisane.
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